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Pirates-typographes

Par Théo Hovnanian

Cet article est issu du mémoire de Master de Théo Hovnanian soutenu en janvier 2023 à l’EESAB intitulé «La Signature Warez : Empreinte d’une culture souterraine», encadré par Marjolaine Lévy et Catherine de Smet.


La Scène Warez, désigne l’ensemble des personnes qui piratent, collectent et distribuent des logiciels, films, jeux-vidéos, livres et tout type de médias numériques illégalement, les rendant disponible et gratuit pour tous. Ce réseau mondial opérant sur internet est divisé en nombreux groupes de pirates et se manifeste à travers le streaming illégal et le téléchargement de torrent1 pour le grand public. Le terme «Warez» est dérivé du mot anglais «ware», un diminutif de «software» qui signifie logiciel en français. Pour faire simple, le Warez fait référence à tous les contenus protégés par des lois de copyright, piratés et redistribués par des groupes de pirates via internet, aussi appelés groupes Warez. Toutes ces actions sont réalisées dans l’écosystème que représente la scène Warez ou simplement La Scène, un réseau underground et organisé en différents groupes Warez.

 

Collection de fontes bitmap issues de la demoscene, fontes collectées par Ian Hanschen.

 

Certains de ces groupes sont actifs depuis le milieu des années 1980. C’est le cas de Razor1911, un groupe norvégien de renommée mondiale, qualifié du plus ancien «groupe de piratage de jeux-vidéo» selon la Section de la criminalité informatique et de la propriété intellectuelle du ministère de la justice des États-Unis. Beaucoup d’autres groupes ont disparu, mais tous ont des modes de signatures récurrents et communs, nés de cet écosystème underground. Ces différents modes de signatures rendent comptent d’une envie d’appartenance et de revendication, dans un milieu ou la compétition a toujours fait rage entre les différents groupes.
Cela se manifeste par des logos, typographies, ornements, illustrations, animation, simulation et même journaux numériques, tenus par ces groupes pour informer la communauté de leur actualité, leurs dernières releases2, l’arrivée de nouveaux membres etc. Ces visuels permettaient de manifester des idées et de construire un environnement commun anti autoritaire où règne la libre information. Tout ce matériel graphique met en lumière l’existence d’une culture souterraine à part entière : la culture Warez.


Lorsqu’on parle de signature, qu’elle soit autographe ou le logo d’une corporation, on pense à un objet graphique unique et inchangeable. La particularité des groupes Warez est qu’ils ne signent pas toujours de la même manière. Bien sûr, leur nom reste le même et on retrouve des signes identifiables, mais c’est tout l’aspect graphique qui varie d’une signature à l’autre. Cela s’explique par la diversité d’artistes responsables des visuels, chacun apportant une vision unique à la signature.

Ces changements graphiques passent surtout par la typographie, conditionnée par le support de signature. Chaque support propose différents niveaux de lecture et tous présentent un lettrage singulier du nom de groupe. On retrouve toujours ce nom en titrage, faisant office de logo. Ce titre est accompagné de texte courant qui voit son contenu et sa forme varier d’un support à l’autre. Si l’on prend l’exemple des cracktros3, le texte de labeur est dans une typographie particulière choisie par son créateur. À l’inverse, la fonte du texte courant d’un fichier NFO4 va être choisie par défaut par le système d’exploitation de l’utilisateur, généralement une monospace, qui peut être changée selon le logiciel utilisé pour le lire. Sur les supports interactifs comme les BBS5, l’utilisateur a parfois la possibilité de changer la typographie avec une touche du clavier. Ce phénomène est très commun chez les journaux numériques Warez, où confort de lecture et personnalisation de l’interface sont de mise.
Dans tous ces supports, le texte courant était toujours écrit avec des caractères bitmap à chasse fixe. Les limitations graphiques des ordinateurs ne permettaient pas d’avoir des polices de caractères à chasse variable. La chasse fixe est toujours un standard pour les terminaux informatiques et les IDE6, permettant une meilleure lisibilité du code. Du côté créatif, c’est un outil indispensable pour l’art ASCII7 et ANSI8 que l’on retrouve respectivement dans les NFO et BBS. La monospace caractérise le médium informatique, faisant référence aux balbutiements des premiers ordinateurs, au codage et à la patine de la machine numérique. C’est pour cela que l’on retrouve ce genre de typographies dans des cracktros plus contemporaines, un héritage de toute cette culture numérique.

 

 

RAZOR_ 1BITPLAN, charset créé par Sector9 à la fin des années 1980.

 


Certains groupes créaient leur propre fonte pour leur cracktros, et c’est le cas de Razor1911. Sector9, l’un des trois membres fondateurs du groupe, est à l’origine de plusieurs jeux de caractères ou «charset» en bitmap. Par exemple, le charset «RAZOR_1BITPLAN» créée par Sector9 est utilisé dans de nombreuses cracktros et démos9 de Razor depuis le début des années 1990, comme avec Vertical Insanity, une démo de 1990. On retrouve ce charset chez d’autres groupes à travers La Scène, avec par exemple une cracktro du groupe Paradox en 2000, et même dans des intros plus contemporaines avec une craktro de Skidrow en 2009.

 

Extrait de Vertical Insanity, démo de Razor1911, 1990.

 

Extrait de la cracktro de Pocket Jiman, Paradox, 2000.

 

Extrait de Armed Force Corp., Skidrow, 2009.

 


D’une certaine manière et comme beaucoup d’autres, Sector9 prenait le rôle d’un typographe. De nombreux jeux de caractères ont été créés pour ces supports de signature. Pourtant, ces typographies n’ont pas de nom qui leur est propre, elles sont généralement directement associées à leur auteur ou au groupe qui l’utilisait. Elles deviennent alors à elle-même une forme de signe distinctif qui caractérise le groupe. Pour la plupart, ces caractères viennent de la scène démo et il en existe des centaines. En faisant des recherches sur leurs origines, on remarque que certaines étaient populaires et utilisées par de nombreux groupes. Par exemple, on retrouve cette fonte  sur une cracktro de Razor, une démo du groupe Equinox  et sur une autre du groupe Automation. Elle est en fait tirée du jeu Wings of Death sur Atari ST. Beaucoup de ces fontes sont directement extraites de jeux de l’époque, tandis que d’autres les prennent comme référence et s’en rapprochent formellement.

 

Typographie du jeu Wings of death sorti en 1990 sur Atari ST et Amiga.

 

Extrait de la cracktro de Battle Chess VGA, Razor1911, 1993.

 

Extrait de la démo Dragoon Demo, Equinox, 1991.

 

Intro de la compilation d’intros CD #426, Automation, 1991.


Si l’on regarde du côté des titrages, c’est un peu différent. Bien évidemment, ils sont pour beaucoup hérités du jeu vidéo mais on trouve aussi des lettrage qui font référence à d’autres cultures dont nous parlerons prochainement. Si l’on regarde les cracktros de Razor, une version différente de leur logo est présente dans chacunes d’elles.  On remarque assez rapidement qu’il s’agit de lettrages dessinés exclusivement pour le groupe. Phénomène que l’on rencontrait déjà avec les BBS où les logos étaient dessinés en art ANSI, et avec les NFO en art ASCII. Avec l’apparition de logiciels de dessins matriciels comme NEOchrome, Deluxe Paint ou MacPaint  au milieu des années 1980, il devenait possible de créer facilement des images basse résolution pour les intégrer aux cracktros, trainers10, keygen11 et installateurs. D’année en année, la résolution maximale augmente jusqu’à ce que la trame du pixel disparaisse. On voit ce changement dans les signatures de la fin des années 1990 à début 2000. La création des calques par Photoshop au milieu des années 1990 change drastiquement la manière de créer des images numériquement. Les lettrages se voient eux aussi libérés de la matrice du pixel qui devient alors un simple effet graphique nostalgique dans certaines signatures.
La typographie joue un rôle majeur dans les signes de La Scène. Certains membres de Razor1911 prenaient sans le savoir le rôle de typographes en créant jeux de caractères et lettrages. Ces lettrages hérités de cultures diverses ont forgé l’identité du groupe, proposant un univers graphique particulier et distinctif. La question étant, à quoi font échos ces formes graphiques et quelles sont ces références dont je vous parle depuis tout à l’heure ? Patience, avant cela nous allons nous intéresser à un objet graphique qui prend à contre-courant l’idée d’une signature variable : le logo stable.

 

Chaque groupe de La Scène a un logo qui ne change pas, ou presque pas. Celui de Razor1911 n’a pas changé depuis les années 1990. On retrouve ce logo sur les différents supports que nous avons analysés plus haut. À première vue, le logo semble être fait en pixelart. En réalité il est fait en art ASCII avec une font monospace qui comprend des symboles cubiques et rectangulaires de tailles et d’épaisseurs différentes. Correctement assemblées, ces formes rappellent la trame du pixel. Ce choix dépend en fait du support, le NFO, qui est encodé en ASCII. Cela leur permet d’y insérer leur logo aisément. Le logo est constitué d’un lettrage monochrome en lettres capitales entouré d’un contour, suivi des inscriptions «1911» et «<JED>». La deuxième est en fait la signature de l’artiste qui est à l’origine du logo. Ce signe fait partie intégrante du logo et en est indissociable, présent à chacune de ses apparitions. Cela est très peu commun pour un logo. Dans n’importe quel autre domaine, on ne trouvera jamais le nom du graphiste à ses côtés. Cela lui donne un statut d’œuvre originale, où Jed est reconnu en tant que créateur et mis au devant de la scène comme faisant partie intégrante du groupe. Cette imbrication de signature est un phénomène commun dans le monde du Warez, où les artistes artscene cherchent à être reconnus pour ce qu’ils font. Cela leur permet d’avoir une visibilité à travers la scène Warez et de s’y faire une place. Un logo comme celui de Razor1911 devient alors un objet graphique hybride, à la fois signature du groupe et carte de visite du graphiste.

 

Logo ASCII classique de Razor1911, JED, 1995.

 

Penchons nous maintenant sur la typographie. De prime abord, il s’agit d’une typographie à empattement en capitales. Si l’on regarde les «R», on remarque leur longues jambes qui font référence aux «R» des capitales lapidaires romaines,  tout comme le «Z» qui se rapproche de ce type de typographie. Le A fait plutôt échos à l’écriture onciale avec sa traverse inclinée. Tandis que le «O» est une référence claire à une typographie gothique textura. Un titrage hybride tiré de formes d’écritures antiques et médiévales, symptomatique du genre «heroic fantasy» ou «médiéval fantastique», genre littéraire très présent dans le monde du jeu vidéo.
On trouve ce genre de lettrage sur la plupart des jaquettes de jeux vidéos qualifiées de RPG et sur les boîtes de jeux de rôle sur plateau de l’époque.  En creusant un peu, on peut aussi y trouver une référence aux couvertures des GURPS, un système de jeu de rôle sous forme de livre, très populaire dans les années 1990, où étaient recensées règles, scénarios, personnages, objets, sorts, lieux etc., chaque GURPS proposant un univers prêt à l’utilisation. Bien évidemment on peut aussi parler des romans d’heroic fantasy aux couvertures souvent typographiées avec ces types de caractères. En allant plus loin, on peut regarder l’alphabet elfique créé par Tolkien pour l’univers du Seigneur des Anneaux. L’alphabet «Quenya» ou «haut-elfique», qui ressemble beaucoup aux caractères de l’écriture onciale.
Finalement, on pourrait se dire que ce logo est un mélange un peu naïf de référence au monde de l’heroic fantasy. Mais n’oublions pas que Razor1911 est un groupe Warez créé en Norvège, le berceau du black metal au début des années 1990. Il suffit de regarder les premières pochettes d’album du genre musical pour comprendre le lien. Elles sont souvent typographiées avec des gothiques médiévales, comme «BURZUM», album éminent du genre. Au delà de ce détail typographique on trouve souvent des références à l’univers du métal dans les visuels et les messages de La Scène Warez. Parfois on est aussi confronté à des références directes à des groupes de métal connus dans les formes graphiques, mais nous verrons cela plus tard. S’ajoute à cela l’inspiration assumée du genre heroic fantasy dans l’imaginaire du métal.En fin de compte, ce seul logo nous en dit beaucoup. ll est déjà révélateur de certaines références de Razor1911 et d’une partie de leur culture. Puisant leur inspiration dans les médias qu’ils consomment ; jeux vidéos, musique, livres etc.

 

Toutes ces signatures font appel à une imagerie très riche aux références diverses, passant par la typographie et l’illustration. Certaines des signatures de Razor font des références directes à des symboles populaires, sans forcément les prendre à contre-courant. Cela peut s’expliquer pour des genres musicaux comme le heavy metal, provocateur et revendicateur. On trouve d’ailleurs beaucoup de clin d’œil au genre dans les signatures de Razor et à travers La Scène, que ce soit dans les visuels ou dans les musiques chiptune12 qui les accompagnent. Tenez, prenons cette cracktro de Heroes of Might and Magic V, le lettrage y est directement inspiré de la pochette de l’album Ride the Lightning de Metallica. Ou encore sur celle-ci où le lettrage est grandement inspiré du logo d’Iron Maiden. Le cinéma est aussi une source d’inspiration. Ici, le logo de Jurassic Park  est détourné vers une version Razor. On notera que la gueule du dinosaure a été remplacée par un symbole emblématique du jeu vidéo : la Triforce, tiré du jeu Zelda. Symbole souvent utilisé par Razor dans ces signatures après la sortie du premier jeu en 1986. Une imbrication de référence donc, qui permet de faire le lien vers les références au jeu vidéo. Elles sont nombreuses et passent pour beaucoup par la typographie comme on l’a vu plus haut. On pourrait aussi parler des références à la bande dessinée, aux comics et aux cartoons. Le plus important, c’est que ces univers font échos à leurs influences. Ces signatures rendent hommage à des œuvres qu’ils ont aimé et témoignent de ce qu’ils regardaient, lisaient et écoutaient. Au final, Razor1911 s’approprie les codes de la culture populaire pour les détourner, les imbriquer et en créer de nouveaux qui leur appartiennent et les représentent.

 

Extrait de la cracktro de Might and Magic V, Razor1911, 1993.

 

 

Extrait de la cracktro de Goofy’s Railway Express, 1996.

 

Modèle de cracktro réalisé par Hetero et Zebig, Razor1911, 1999.

 

 

Il existe un lien très fort entre les visuels de la scène Warez et le graffiti. En effet, une grande partie des signatures Warez font échos aux lettrages de graffeurs. On retrouve ces formes à travers tous les supports : BBS, NFO, cracktros, hirez13 etc. Ce lien fort entre ces deux cultures peut s’expliquer de plusieurs manières. Dans son ouvrage Cholo Writing : Latino Gang Graffiti in Los Angeles François Chastanet étudie les graffitis des gang latino à Los Angeles, il explique que «Le graffiti d’East LA a son propre format unique appelé placas ou «plaques», symboles des limites territoriales des rues. Les placas sont des murs peints de graffitis portant le nom d’un gang et de ses membres, le plus souvent peints sur les limites ou les bords de leurs communautés. Ce sont des gages d’allégeance à leur quartier. Les placas encouragent la force du gang, créent une aura d’exclusivité et sont toujours peintes en lettres noires.» On pourrait comparer le format des placas aux supports de signature Warez. Le principe est le même, c’est le medium qui change. L’un est physique, l’autre est numérique, mais les deux sont des espaces publics. Cette analogie peut même aller plus loin. Lorsque Razor accompagne son crack d’une intro, il marque le jeu piraté comme étant son territoire. À la naissance des cracktros, cette idée territoriale était encore plus forte car elles étaient directement intégrées au jeu, remplaçant l’intro originale. Mais dans la forme, les signatures Warez se rapprochent bien plus du graffiti dit «new-yorkais». En effet, les couleurs et les lettrages en sont directement inspirés. Elles se rejoignent aussi dans le besoin de célébrité et de reconnaissance, où les exploits techniques et la qualité plastique seront récompensés par un gain de notoriété. À cela s’ajoute l’architecture de la scène graffiti, réseau organisée en différents groupes d’artistes aux pseudonymes qui pourraient rappeler ceux des pirates. Les graffeurs new-yorkais avaient même trouvé le moyen de faire voyager leur signature à travers la ville en les apposant sur des rames de métro ou des camions, des supports mobiles leur donnant une visibilité incontestable et une qualité d’objet graphique presque animé. D’ailleurs, la vue d’un métro ornée de tags passant une station pourrait rappeler le texte défilant d’une cracktro.  Nous pourrions faire un tas d’analogies amusantes entre la scène Warez et le graffiti new-yorkais, car les deux ont un lien très fort dans leurs intentions, leurs esthétiques et leur organisation. Finalement, il n’est pas étonnant que les pirates s’en inspirent pour leurs signatures, qui dans certains cas comme celui des cracktros pourrait être qualifiée de vandalisme numérique.

Extrait de la cracktro de The Blue and The Grey, Razor1911, 1993.

 

Extrait de la cracktro de Soldiers of Fortune, Razor1911, 2000.

 

Millenium Edition, hirez par Infernal Flames, 2000.

 

 

Les typographies créées par les pirates de La Scène sont forgées par leur références. Mais ce qui les rend particulières, c’est que ces références sont tant assumées qu’elles sont parfois directement calquées sur des typographies existantes. Toutes ces fontes «pirates» portent alors bien leur nom. On assiste finalement à un phénomène d’imbrication de références typographique, créant des objets hybrides aux références diverses et à l’apparence singulière qui donnent naissance à une esthétique propre à la culture Warez.

 

 

Mémoire complet disponible sur http://www.ohannes-superbank.net/downloads.html

 

 

 

 

1 Un torrent désigne un fichier téléchargeable avec le protocole de transfert de donnée Bittorrent, créé en 2002 par le programmeur Brahm Cohen. Ce protocole utilise le procédé de pair à pair où chaque utilisateur partage une fraction du fichier lorsqu’il le télécharge. Ce protocole est très utilisé dans le téléchargement illégal, un des plus grands sites de distribution de fichiers torrents étant ThePirateBay.

 

2 Désigne un crack réalisé par un release group comme Razor1911.

 

3 Cracktro est un mot valise qui mélange crack et intro. Un crack désigne la modification d’un programme payant permettant d’en casser la sécurité pour l’acquérir gratuitement. Une intro désigne une simulation programmée et animée en temps réel sur une machine, accompagné de musique chiptune. En fait, une cracktro est simplement une intro accompagnant un crack de jeu vidéo. Une promotion spectaculaire et revendicatrice, codée à l’intérieur même du programme d’origine.  Dans ces expérimentations numériques impressionnantes et provocatrices à la limite de l’insolence, les crackeurs montrent leur talent de programmeurs, narguant les éditeurs en faisant leur propre promotion. On pourrait comparer ces créations à des clips musicaux, là où l’expérimentation et la créativité n’ont pas de limite.

 

4 Lorsqu’on télécharge un fichier illégalement, peu importe le média, il est presque toujours accompagné d’un fichier au format .nfo. Si on peut faire preuve de méfiance à sa vue, il s’apparente plutôt à un simple fichier texte. Il est d’ailleurs recommandé de le consulter car on y trouve souvent des instructions d’installation lorsqu’il s’agit d’un jeu vidéo ou d’un logiciel. À son ouverture, on trouve en entête le logo ASCII du groupe Warez responsable du crack. Ensuite, on trouve des informations sur le média, la date de release, les instructions d’installations, des remerciements et parfois des annonces de la part du groupe warez. Il sert de cachet d’authenticité, de manuel d’utilisation et de communiqué de presse.

 

5 Un BBS ou Bulletin Board System signifie panneau d’affichage public numérique. Comme son nom l’indique, il permettait d’échanger des informations publiquement, et ce des années avant l’existence du web. À la fin des années soixante-dix, cette technologie fonctionnant sur des serveurs permettait d’envoyer des messages, de stocker et d’échanger des fichiers grâce à un modem relié à une ligne téléphonique. C’était un support très commun pour le piratage de jeu et l’échange d’information au sein de La Scène pendant les années quatre-vingt jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix. Avec l’arrivée du web le BBS a peu à peu commencé à s’essouffler. À l’époque, c’était une forme d’expression et de communication privilégiée par la scène Warez.


6 Un IDE ou «Environnement de Développement Intégré» désigne un outil informatique permettant aux développeurs de programmer des logiciels en écrivant des lignes de code.

 

7 Désigne une forme d’art consistant à créer des images en utilisant les caractères spéciaux du code ASCII, acronyme de American Standard Code for Information Interchange (Code américain normalisé pour l’échange d’information), norme informatique de codage de caractère apparue dans les années 1960 et toujours la plus utilisée aujourd’hui.

 

8 L’art ANSI est une forme d’art numérique rendu possible par le système d’exploitation MS-DOS. Il permettait de créer des visuels avec des rectangles verticaux et des carrés de trames différentes, ainsi que de nombreux autres glyphes. Il y avait le choix entre 16 couleurs avec 4 nuances à chaque fois et l’espace est limité à 80 caractères de large et 25 de hauteur, tout cela dans une grille de texte. Les flèches directionnelles permettaient de naviguer à travers la grille et il était possible d’opérer des sélection avec la souris, ainsi que des copier coller. La limitation de 25 caractères de hauteur fut déviée et les utilisateurs trouvèrent un moyen de superposer plusieurs écrans pour créer des visuels très longs verticalement.

 

9 Forme d’art numérique underground, pratiquée par des programmeurs passionnés, qui se manifeste sous forme de simulations graphiques en temps réel poussant les supports à leur limites, le tout accompagné de musique chiptune. Ces programmes sont aussi appelés des intros. Une démo est de la même nature qu’une cracktro, mais sans l’aspect illégal.

 

10 Le trainer est un petit programme qui permet de tricher sur un jeu vidéo. Il est rarement aussi animé et exubérant qu’une cracktro, on y trouve toujours le logo du groupe mais il se présente plutôt comme un menu à choix multiple.

 

11 Petit programme qui permet de générer une clé unique permettant d’acquérir un jeu vidéo ou tout autre programme payant.

 

12 La musique chiptune est un genre musical où les sons sont synthétisés par ordinateur ou par la puce audio d’une console de jeu. Le terme vient des composition musicales créee sur Amiga par la scène démo. En anglais, «chip» signifie puce informatique et «tune» signifie mélodie.

 

13 Contraction de high resolution ou haute résolution en français, elle défini une image où la trame du pixel n’est plus visible. Un hirez fait généralement la promotion d’un groupe Warez.

 

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Entretien avec Arlette et Mourad Boutros

Par Solenne Madi

Arlette et Mourad Boutros sont libanais, ils sont installées à Londres où ils ont créé  la fonderie Boutros en 1966. Leur expertise technique et artistique a abouti à la création de certaines des polices les plus utilisées dans le monde arabe. En collaboration avec les principaux concepteurs de caractères latins et des experts techniques, ils ont développé une gamme variée de polices arabes pour le web, les supports imprimés et audiovisuels ainsi que pour la signalisation directionnelle bilingue.

Cet échange du 12 mars 2022 est traduit de l’anglais. Il est issu d’une série d’entretien mené par Solenne Madi pour son mémoire de Master soutenu en janvier 2023 à l’EESAB intitulé «Hi kifik ça va ? Cohabitation des langues écrites, regard sur les scripts arabe et latin», encadré par Marjolaine Lévy et Catherine de Smet.

 

Solenne Madi: Bonjour Arlette et Mourad, merci de m’accorder votre temps. Je vous ai d’abord connus grâce a votre livre Arabic for Designers où vous présentez beaucoup de logos arabes et latins que vous avez réalisés. Je me demandais, qu’est-ce qui rend un logo efficace en latin et en arabe ?

Mourad Boutros: Dans le monde arabe, presque tout le monde utilise le multi script. La majorité des gens sont bilingues anglais/arabe et donc toutes les marques veulent un logo qui puisse se décliner dans les deux langues mais pas que. Pour donner un exemple quand tu fais un packaging, il faut mettre les ingrédients et les autres informations importantes dans les deux langues (anglais et arabe, ce sont les deux langues majeures). Quand tu veux dessiner un logo en arabe comme traduction au latin, il t’es demandé de t’inspirer du latin déjà existant, presque de suivre les mêmes règles sans le copier non plus. C’est à toi de trouver le milieu entre le respect du latin et celui de la calligraphie et des traditions de l’écriture arabe. Tu dois t’adapter au marché que tu vises, par exemple, pour le marché égyptien tu devras respecter des règles différentes que celui du Liban. C’est un gros problème pour les occidentaux qui travaillent pour le Moyen Orient car beaucoup n’arrivent pas à cerner ce point majeur.

 

SM: C’est vous qui dessinez tous les lettrages de vos logos ?

MB: Oui

SM: J’ai observé le logo Radius que vous avez réalisé, je trouve que le lettrage arabe respecte le latin tout en gardant les propriétés et les origines de la calligraphie arabe, je me demandais donc comment on s’arrange pour garder cet équilibre ?

MB: Vous avez bien fait vos recherches, je pense que c’est le meilleur logo fait depuis ces 20-30 dernières années. En observant le logo en latin et en arabe j’ai vu la ressemblance entre le i et les dots (les points arabe) donc ce logo est le résultat d’une part de chance et d’une autre d’observation.

 

SM: Est-ce que vous pensez que quelqu’un qui ne connaît, ne lit ou n’écrit pas l’arabe peut dessiner un caractère en arabe ?

MB: Oui et non, j’ai pu observer que des typographes occidentaux ont mis le nez dans des choses qu’ils ne connaissaient pas comme la typographie arabe. Il y a quelques années maintenant Walter Tracy (qui est anglais) a dessiné un caractère qui je pense est le meilleur jusqu’à maintenant en arabe et latin qui s’appelle Qadi. Personne ne sait s’il l’a fait tout seul ou s’il s’est entouré de personnes qui connaissaient l’arabe. Thomas Milo qui connaît un peu l’arabe (il l’a appris au Liban) a aussi fait un très bon travail, il travaille à DecoType et c’est différent quand tu es en occident. Les gens payent pour faire ce travail alors qu’au Moyen-Orient ou dans les pays arabes, personne ne te regarde, tu dois le faire et y arriver tout seul. C’est aussi pour ça que nous sommes venus en Angleterre depuis la guerre du Liban. Avec MonoType nous avons dessiné la typographie Tanseen, nous avons dessiné l’arabe et nous avons demandé à deux personnes que nous connaissions de faire le latin. C’était la première fois qu’il y avait une famille typographique en arabe et en latin. En 1986 Apple nous a contactés pour dessiner une typographie qui sera automatiquement dans les ordinateurs, à cette époque il n’y avait que 236 typographies, aujourd’hui tu peux en avoir plus de 64 000.

 

SM: Est-ce que vous avez déjà dessiné une famille typographique comportant l’arabe et le latin ?

MB: Oui beaucoup.

SM: Qu’est-ce qui est le plus compliqué quand il faut dessiner une typographie multi script ?

MB: En 1986, ce qui était compliqué c’était la technique pour dessiner des caractères typographiques, tu prenais du papier calque et tu dessinais avec un pinceau, ensuite tu découpais, tu en faisais un négatif. C’est comme ça que tu avais ton caractère et si tu voulais faire une autre graisse, tu devais la redessiner. Maintenant il suffit de quelques paramètres sur les logiciels et tu as les autres graisses . La technologie a changé et maintenant tu peux dessiner une graisse à partir des dessins déjà existants. Mais réaliser une bonne typographie en arabe et en latin est assez compliqué, par exemple pour une des familles typographiques que l’on a voulu faire, nous avons pris trois ans à la finir. Nous avons contacté des amis typographes qui dessinaient le latin et nous, nous nous occupions de l’arabe. On se rencontrait toutes les semaines. Nous avons beaucoup discuté de tous les problèmes de proportion, garder la tradition pour l’arabe, et je pense que personne n’a mieux fait que nous parce que personne n’a pris autant de temps à travailler comme ça. Maintenant le groupe de chaînes télévisées Alarabiya à Dubaï, groupe qui est d’ailleurs numéro un dans tout le Moyen-Orient, a utilisé cette typographie pendant 16 ans. Normalement les groupes utilisent une typographie pendant 6-7 ans et ensuite ils changent mais il a refusé de changer.

 

SM: Que pensez-vous des typographies arabes créés comme compagnon à des latines comme l’Helvetica arabic ou Frutiger arabic ? 1

MB: C’est une très bonne question. Linotype et monotype sont des leaders dans la typographie mais le problème c’est qu’ils ont décidé de mettre leur nez dans quelque chose dont ils n’ont pas connaissance: l’arabe. Les typographies les plus utilisées sont Helvetica, Frutiger, Futura alors ils ont dessiné l’arabe de ces typographies mais si tu veux mon opinion c’est «garbage» («poubelle»). Peu importe qui a fait ce travail, ils ont fait en sorte que l’arabe ressemble au latin. L’arabe est une langue traditionnelle, tu peux l’explorer et en faire ce que tu veux mais pas du latin. Si tu regardes vraiment ces caractères, tu sens que c’est fait à partir du latin et non des traditions culturelles de l’arabe. Pour cette raison, monotype est venu nous voir il y a six ans, je crois qu’ils ont eu beaucoup de critiques à ce propos et ils nous ont demandé de dessiner une typographie qui remplacerait la Frutiger arabic et latine. Même si nous ne nous sommes pas mis d’accord pour la partie commerciale, nous l’avons quand même dessinée et maintenant elle est en vente sur notre fonderie.

 

1 Je pose cette question à toutes les personnes avec qui j’ai pu m’entretenir car ces deux deux caractères sont les plus controversés dans le monde de la typographie arabe. Nadine Chahine en est la typographe, mais les critiques qui peuvent être faites sur ces caractères ne pointent en aucun cas tout le travail que Mme Chahine, qui est une typographe libanaise extrêmement douée, a pu réaliser.

 

 

 

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Bibliothèque20

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Arcade game typography the art of pixel type

de Toshi Omagari,
avant-propos de Kiyonori Muroga,
éditions Thames and Hudson, 2019

«Arcade Game Typography présente aux lecteurs un nouveau monde fascinant de la typographie - la police de caractères pixel. Les concepteurs de jeux vidéo des années 70, 80 et 90 ont été confrontés à des limitations de couleur et de résolution qui ont stimulé une incroyable créativité : les lettres devant exister dans une grille carrée de 8x8, les artistes ont trouvé le moyen de créer des jeux de caractères expressifs et élégants dans une toile minuscule. Avec des caractères pixel soigneusement sélectionnés dans les premières décennies des jeux vidéo d’arcade, Arcade Game Typography présente un mouvement de "typographie outsider" jusqu’alors non documenté, accompagné de commentaires perspicaces de l’auteur Toshi Omagari, lui-même créateur de caractères Monotype, et de captures d’écran des caractères utilisés. Fruit d’une recherche exhaustive, ce livre rassemble une typographie éclectique issue de jeux à succès tels que Super Sprint, Pac-Man, After Burner, Marble Madness, Shinobi, ainsi que d’innombrables joyaux moins connus. Le livre présente ses caractères sur une grille dynamique et décorative, s’inspirant de spécimens de caractères haut de gamme tout en y ajoutant une touche ludique. Contrairement aux caractères d’imprimerie, les caractères pixel ont souvent des couleurs vives intégrées dans les caractères. Ainsi, Arcade Game Typography ne ressemble à aucun autre livre de typographie, pétillant de vie et de couleurs.»

Conférences20

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Sarah Kremer

Le Französiches Etymologiches Wörterbuch (FEW), dictionnaire historique et étymologique du français, est en cours d’informatisation. La conversion numérique des 16000 pages d’articles s’appuie notamment sur la production d’outils typographiques spécifiques. Cette présentation abordera les réflexions engagées dans le cadre de la conception d’une série d’alphabets pour ce dictionnaire, abordant leur dessin, leur encodage et leur utilisation au sein d’interfaces de saisie et de consultation.

Sarah Kremer est designer graphique et dessinatrice de caractères. Elle conduit depuis 2014 un projet de recherche doctoral au laboratoire Analyse et traitement informatique de la langue française (ATILF CNRS, Université de Lorraine) et à l’Atelier national de recherche typographique (ANRT, ENSAD Nancy) dans le cadre de l’informatisation du Französisches Etymologisches Wörterbuch de Walther von Wartburg. Elle enseigne à l’École nationale supérieure d’art et de design de Nancy, à l’IUT Nancy-Charlemagne - Page Officielle et intervient régulièrement à l’École supérieure d’arts appliqués de Bourgogne de Nevers.

Sarah Kremer était invitée par Benjamin Gomez, enseignant en typographie pour l’option Desgin graphique à l’EESAB-site de Rennes.

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Alice Savoie

Alice Savoie est créatrice de caractères, enseignante et chercheure en histoire de la typographie. Diplômée de l’ÉSAA Duperré, de l’École Estienne et de l’Université de Reading, elle a collaboré notamment avec les fonderies Monotype, Process Type Foundry et Tiro Typeworks, Frere-Jones Type, Ourtype, etc., et conçoit des caractères de commande pour des projets d’édition et d’identité. Elle développe également des systèmes multi-scriptes, incluant des caractères latins, grecs, cyrilliques et hébreux.

De 2008 à 2010, elle a travaillé pour la compagnie Monotype, participant à la création de caractères d’entreprise pour des clients internationaux (The Times, Turner Broadcasting, Ogilvy, etc.). Elle a également contribué à la réalisation de nouveaux caractères pour Monotype, tels que la famille Ysobel, en collaboration avec le designer britannique Robin Nicholas, et Rotis II Sans. Sa famille de caractères Capucine est distribué par Process Type Foundry. En 2012 elle a contribué avec John Hudson/Tiro Typeworks au développement de la famille de caractères The Brill pour l’éditeur néerlandais du même nom. En 2014 elle a obtenu un doctorat de l’Université de Reading en collaboration avec le Musée de l’imprimerie et de la communication graphique de Lyon. Ses recherches portent sur la création de caractères en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement durant l’ère de la photocomposition. Depuis 2013, elle enseigne et dirige des projets de recherche à l’Atelier National de Recherche Typographique, ainsi qu’au sein du post-diplôme Typographie et Langage à l’Ésad Amiens.

Depuis 2016 elle enseigne également au sein du DNSEP Design Graphique de l’ENSBA Lyon.

Basée à Lyon, elle travaille en tant que créatrice de caractères indépendante.

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Marc Smith

Marc Smith est historien et paléographe, Professeur à l’École nationale des chartes et directeur d’études à l’École pratique des hautes études. Ses recherches concernent principalement l’évolution de l’alphabet latin dans ses conditions linguistiques, techniques, cognitives et culturelles de longue durée, des inscriptions romaines à la typographie numérique. Il nous parlera de l’histoire du blanc dans le manuscrit.

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